J'ai testé... L'alter égo de Toto : Nasreddine le "fou qui était sage"
J'ai découvert, lors de mon expatriation en Tunisie, les aventures d'un drôle de petit bonhomme appelé Nasreddine. Il fait partie du folklore arabo-musulman, et il a des clones du même accabit qui répondent, selon le pays, aux noms de Nasr Eddin, Djeha, Ch’ha, Goha, Jiha, Srulek, Effendi,... Mais c'est bien le même lascar en fait ! Dans ses aventures, il exerce différents métiers : commerçant, menuisier, bouffon... On le rencontre aussi écolier âgé d'une dizaine d'années, époux de Khadidja, ou simple citoyen.
Les histoires de Nasreddine sont très courtes. Dans certaines il y fait office de benêt de service en poussant la logique à l'extrême d'une façon qui paraît absolument stupide. Mais dans d'autres aventures, c'est un personnage bourré de malice qui d'une pirouette cloue le bec de ses contemporains. Il fait souvent preuve de la plus extrême mauvaise foi pour se sortir de situations critiques dans lesquelles il s'est volontairement enlisé, ou pour entourlouper les autres. Et cela, avec le genre de répartie dont on se dit "ah ben mince, il est gonflé tout de même!" Sa fausse naïveté lui permet aussi de dénoncer des petits travers bien humains tels que la cupidité, l'égoïsme, etc, ou des privilèges. De part les multiples facettes qui façonnent son personnage, il est surnommé "le fou qui était sage".
En résumé, c'est un type absolument insupportable qu'on aurait envie d'étrangler si on le rencontrait là, maintenant, dans la "vraie vie" ! Car comment ne pas craquer nerveusement devant tant de stupidité, ou en subissant ses raisonnement "imparables" ou ses filouteries ? Mais tant qu'il reste coincé bien à plat entre les pages d'un livre (albums illustrés pour enfant, BD, recueils d'histoires brèves), tout va bien !
Certaines fables sont sans aucun doute les dignes ancêtres des blagues Carambar (question de goût...), d'autres sont absolument exquises et savoureuses. En voici quelques exemples de tous styles :
Nasr Eddin, du temps qu'il avait été aubergiste à la campagne, voit arriver un jour une troupe brillante de chasseurs à cheval. C'est un grand seigneur et sa suite. "Holà, aubergiste, une collation ! Nous avons l'estomac vide." Nasr Eddin leur prépare une omelette qu'ils mangent avec appétit. "Combien te dois-je ?" lui demande le seigneur au moment de repartir. "30 dinars, Excellence." "Par Allah ! 30 dinars pour une omelette ! les oeufs sont donc si rares par ici." "Non, Excellence, ce ne sont pas les oeufs qui sont rares ici, ce sont les gens riches." Jean-Louis Maunory - "Les aventures de l'incomprable Nasr Eddin Hodja"
En marchant dans la rue, Nasreddine trouve un miroir abandonné par terre. Il le ramasse et le regarde. L'image qu'il voit dedans est vraiment très laide. "Je comprends qu'on t'ait jeté", dit-il. Et il balance le miroir loin de lui. Jihah Darwiche - "Les petites malices de Nassreddine"
(Comme Nasr Eddin a prédit la mort d'un homme et que cela s'est réalisé, le tyran Timour inquiet décide de le tuer...) "Approche, chien malfaisant. Puisque tu es devin, tu as dû prévoir le jour de ta mort..." "Oui, Seigneur, ce devait être aujourd'hui justement..." "Pourquoi dis-tu cela ? Te prétends-tu assez puissant pour l'éviter ?" "Oui Seigneur." "Et comment donc ?" fait Timour en levant son arme ? "Très simple, Seigneur : dans les étoiles j'ai vu aussi que ta mort était prévue le lendemain de la mienne." De colère, Timour jeta son sabre et s'en alla, laissant la vie sauve à son bouffon.Jean-Louis Maunory - "Nars Eddin Hodja un drôle d'idiot"
Nasredinne se présenta un jour devant le roi. "J'aimerais bien avoir un beau titre. Toi qui as tous les pouvoirs en main, fais de moi un de tes vizirs." "Malheureusement tous les postes sont déjà pourvus, je ne vois pas quel titre je pourrais te donner !" "Vizir du pétrole, par exemple !" "Mais tu plaisantes, bien sûr. Tu sais bien qu'il n'y a pas de pétrole dans notre royaume !" "Et alors ? Tu as bien un vizir de la justice." Jihad Darwiche et Pierre Olivier leclercq - "Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage"
Nasredinne n'avait encore que 10 ans. sa mère lui dit un jour : "Je dois partir au marché. Pendant mon absence, fais bien attention aux voleurs; et, surtout, ne quitte jamais la porte, sinon ils risquent de dévaliser la maison." "Sois tranquille, mère, j'y veillerai." Une heure plus tard, la mère trouve son fils en train de se promener sur le marché avec la porte de la maison... sur le dos ! "Malheureux, que fais-tu avec cette porte ?" hurle-t-elle. "J'avais envie de sortir", dit Nasreddine, "Et puisque tu m'avais dit de ne pas quitter la porte, je l'ai enlevée et je l'ai prise avec moi." Jihah Darwiche - "Les petites malices de Nassreddine"
Nasredinne entra un jour dans une boutique, choisit un pantalon de belle qualité, et demanda le prix au vendeur. "50 dirhams", lui dit l'homme. "C'est bien, je le prends." Le vendeur plia le pantalon et le posa sur le comptoir. Mais avant de payer, Nasreddine remarqua une belle chemise. "Peux-tu me dire le prix de la chemise, s'il te plaît ?" "Le même prix que le pantalon, 50 dirhams." Bien", dis Nasreddine, "je laisse le pantalon et je prends la chemise." Il prit la chemise , la plia, la mit sous son bras et sortit de la boutique sans payer. Le vendeur le suivit dans la rue : "Nasreddine ! Tu ne m'as pas donné le prix de la chemise." "Non, mais je t'ai laissé le pantalon à sa place." "Le pantalon ? Mais tu ne l'as pas payé non plus." "Espèce de voleur", lui dit Nasredinne offusqué, "Comment voudrais-tu que je paye le prix d'un pantalon que je n'ai même pas pris !" Et il continua son chemin. Jihad darwiche et Pierre Olivier leclercq - "Sagesses et malices de Nasreddine, le fou qui était sage"
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Petit zoom sur un des livres de ma collection que je trouve particulièrement interessant : "Où vas-tu Nasreddine ?" de Kaldoun Dia-Eddine et Patrice Zeltner. Les historiettes sous forme de BD et les pages documentaires illustrées se complètent à merveille.
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